Ecriture
automatique
et cadavre exquis
Cette
pratique a
été utilisée par les
surréalistes qui l’ont
déclinée dans le cadavre
exquis.
Paul Le BOHEC en a fait découler toute une série
de jeux d’écriture
qu’il
utilisait dans ses ateliers d’écriture avec des
adultes « Ah !
Vous écrivez ensemble » (Documents
de l’EDUCATEUR 172-173-174 Supplément au
n°10 du 15 mars 1983) J’ai
pour ma part
souvent utilisé ce qui est alors un exercice
lorsqu’il s’agissait de
« débloquer »
l’écrit, la liberté
d’écrire, la jouissance
d’écrire. Il
y a
beaucoup d’éléments
qui bloquent l’acte d’écriture. Entre
autres et à l’école et surtout
quand les
enfants ou les adolescents n’ont toujours
été confrontés
qu’à écrire
pour
répondre à la demande du prof et dans la forme
attendue. Ce d’autant
que la
résultante de leur écrit est alors une note, un
jugement public, et
qu’il s’en
suit une corvée (correction,
« à
refaire »…) au mieux une
exploitation.
Il s’agit donc de briser cela. Voilà
comment je
pratiquais. La
première séance était
toujours fortement théâtralisée. Je
prenais un air le plus sévère
possible. « Prenez une
feuille, un crayon.
Attention ! Au signal vous allez écrire
n’importe quoi, sans vous
arrêter.
Je vous interdit de
lever le
crayon ! ».
Et il fallait que j’insiste, les enfants étant
estomaqués. « J’ai
dit de ne pas s’arrêter, continue,
n’importe quoi ! C’est
obligatoire !Allez ! ».
Cette
première séance ne doit d’ailleurs
durer que deux ou trois minutes, pas
plus et
surtout ne passez pas derrière les enfants comme les
maîtres qui font
une
dictée. « Posez
vos crayons ! ».
Et
vous êtes
devant des enfants qui manifestement sont plutôt inquiets et
se
demandent ce
qui va leur arriver.« Regardez
ce que vous avez écrit. »
Certains n’osent
même pas. Vous
laissez un
court temps. Puis vous passez avec la corbeille à papier que
vous avez
soigneusement préparée à
l’avance et vous quittez votre air
sévère. « Maintenant
vous pouvez déchirer et
jeter votre feuille si vous le voulez. ».
C’est un moment
toujours
spectaculaire. Les enfants sont interloqués. Il y a presque
toujours un
moment
de silence. Certains n’osent même pas « On
peut vraiment M’sieur ? »
Et puis c’est le débridement.
Rien qu’à
voir comment les feuilles sont froissées, jetées
on comprenait beaucoup
de
choses. Un collègue qui avait suivi mon mode
d’emploi écrivait qu’il
fallait
mieux le faire avant une récréation tellement
cela avait provoqué chez
lui une
déstabilisation et que le retour à la normale
avait été difficile. Les
séances
suivantes étaient toutes différentes. Cette fois
les enfants rentraient
dans le
jeu puisqu’ils savaient qu’ils ne couraient plus
aucun risque. Toutes
les
feuilles n’étaient pas forcément
jetées. Certains les gardaient.
D’autres les
lisaient aux autres, en particulier quand cela provoquait le rire.
Certains me
les faisaient voir. Parfois ils les retravaillaient pour les
transformer en
texte communicable et me demandaient de les aider… Et
assez
rapidement, il n’y avait plus besoin de cet exercice,
l’écrit était
libéré. Je
pratiquais
aussi beaucoup le cadavre exquis sous toutes ses formes. Lors
du
plan
informatique dit « plan Fabius »,
les classes uniques avaient
été
dotées d’excelvison.
Cet ordinateur avait
l’avantage
de pouvoir rentrer en communication avec un autre excelvision
via les lignes téléphoniques. On pouvait donc
faire, en temps réel, ce
qu’aujourd’hui
on appelle des tchats.
Nous nous étions
donné un
rendez-vous hebdomadaire télématique devant nos
écrans avec une autre
classe
unique. Nous avions commencé par un cadavre exquis
classique : Une
classe
commençait par écrire le début
d’une histoire et s’arrêtait
dès qu’elle
arrivait au bout de la première ligne. L’autre
classe voyait les mots
s’afficher
au fur et à mesure sur son écran puis devait
immédiatement poursuivre à
son
tour l’histoire en ignorant la première intention
de ceux qui l’avaient
commencée. La seconde ligne interrompait son cours et la
main était
rendue à l’autre
classe et ainsi de suite Ces
séances étaient
d’une très grande intensité
ponctuées de rires, d’exclamations et au
bout de
vingt minutes nous étions littéralement
épuisés. L'attention était
naturellement mobilisée à son maximum.
Déjà lorsque les
enfants voyaient
les mots se succéder, ils commençaient
à anticiper sur les suivants, à
extrapoler,
l’imagination se mettait en branle et était
provoquée puis portée par des mots. Et
puis, ces
séances étant collectives, dans la multitude des
propositions qui
surgissaient,
il fallait rapidement en choisir une, presque à chaque mot
qui devait
prendre
un sens et donner un sens, à la fois le sens de la
compréhension que
celui de
la direction donnée à l’histoire qui en
surgissait et qui devait
trouver, à
chaque retour de ligne, une nouvelle cohérence. Les
rebondissements
étaient
autant entre les deux classes qu’à
l’intérieur de chaque classe. Le
résultat était
toujours étonnant, jouissif. Des histoires fantastiques,
surréalistes,
comiques, poétiques... Chaque classe reprenait alors le
texte ainsi créé pour lui
donner
une forme plus littéraire, plus belle, et nous avions alors
deux textes
souvent
très différents et les enfants comprenaient la
magie de l’écrit, de son
agencement. A
chaque
séance une
classe imaginait et proposait d’autres règles du
jeu : Aujourd’hui
nous vous proposons un dialogue :
nous sommes un gendarme, mais vous on ne sait pas qui vous allez
choisir d’être
et vous ne nous le dites pas – Aujourd’hui notre
histoire parlera de
l’école –
Aujourd’hui on s’arrêtera à
chaque point. Etc. Un
détail pratique :
il vaut mieux que ce soit le prof qui soit au clavier. D’une
part il
faut que
les mots soient écrits au fur et à mesure assez
rapidement puisque l’autre classe ne doit
pas être
dans une attente trop longue dans leur surgissement sur
l’écran,
d’autre part
il faut éliminer le parasitage de l’orthographe. J’oubliais :
le rire, l’étonnement, quels moteurs ! Bernard
COLLOT |