Lorsque les haricots font la course....... 300 enfants écrivent, font des maths... s'amusent.
Mars 93. Le printemps, les bourgeons la germination. Important la germination. Je ne savais pas si cétait aux programmes, mais en vieil amoureux de la nature, adepte du jardinage biologique, jétais sûr quil était indispensable que les enfants se penchent, regardent, sémerveillent devant la germination. Comme des savants qui découvrent un phénomène. Javais donc mis tout mon poids dinstit chevronné pour que sengagent des plantations de haricots dans un coin de la classe, des plantations que lon pourrait observer scientifiquement ! Gentiment les enfants avaient bien installé les pots de verre mais malgré mes injonctions, les malheureuses plantules navaient pas grand succès, louverture des cotylédons ne passionnait personne, le carnet dobservations restait désespérément vierge et larrosage indispensable systématiquement oublié.
Pourtant quelques messages concernant dautres plantations de haricots dans dautres classes tombaient sur les écrans en ces mois bénéfiques pour les haricots dintérieur. Malgré mes insinuations perfides Tiens eux aussi ils font des plantations, on pourrait peut-être , rien ny faisait, cétait le bide. Désolé, javais renoncé à voir cette année des enfants se passionner pour la germination.
Et puis un jour du mois de Mai, arriva un nouveau message parlant de haricots qui ne poussaient pas vite. Alors que je ne faisais même plus les efforts pédagogiques circonstanciels, Mathieu, pince sans rire, sexclama :Ils ne font pas la course . Mais tiens, on pourrait faire une course de haricots !. Une course de haricots ! Et chacun dy aller de sa plaisanterie, les petits nétant pas les derniers. Piqué au vif, Mathieu, sexplique : A celui qui pousse le plus vite pardi !. Quel souffle balaya alors la petite troupe. Il aurait fallu que la course démarrât sur le champ.
Au lieu de cela, elle prit une ampleur démesurée : On pourrait faire la course entre plusieurs classes.?. Enthousiasme. Un message est envoyé aux quelques 250 classes du réseau télématique. Qui voudrait faire une course de haricots avec nous ?. Une multitude de réponses allant de lhumour aux propositions sérieuses. Et pendant une quinzaine de jours, ce fut par télématique la mise au point du GRAND PRIX HARICOTMOBILE. Oui mais il faut quon commence tous ensemble. Et quest-ce quon va mesurer ? Et quand va-t-on les mesurer ? Et quest-ce quon aura le droit de faire ?- Et comment on va faire les classements ? Et qui va les faire ? Et si on faisait des équipes de plusieurs haricots Et comment on saura les classements ? ...
Au bout de cette longue, imprévue et scientifique mise au point, il fut décidée que le départ aurait lieu le 5 mai à 9 heures 30 pétantes, que chaque classe concurrente aurait droit à une équipe de 5 haricots, que lon pouvait tout faire pour les faire pousser plus vite, que les haricots seraient mesurés tous les jours à 9 heures 30, du sol au bourgeon terminal (vous qui navez jamais fait de course de haricots, savez-vous ce quest le bourgeon terminal et son rôle ?), que les résultats seraient communiqués à Moussac chargé détablir 4 classements, un par étape constatant les poussées quotidiennes, un général basé sur la longueur totale des 5 concurrents et ceci individuellement et par équipe, et enfin que ces résultats seraient immédiatement publiés dans la partie magazine du serveur télématique ACTI sur lequel était implanté le réseau. Une quinzaine de classes, de la maternelle au CM2, sétaient engagées. Chaque haricot avait un dossard ! Seul oubli : personne navait pensé à la ligne darrivée !
Ah mes enfants ! Si javais été un bon instit, je naurais jamais laissé se constituer des équipes de 5 ! Pour gérer tous ces chiffres il a fallu faire appel au tableur ! Il y avait une telle envie, un tel plaisir, que Mathieu, Sylvain, Jérôme ont passé des heures à sapproprier cet outil cabalistique.
La course lancée, quelle ambiance. Non seulement ma classe publiait quotidiennement les résultats mais faisait un commentaire sportif. On se serait cru au Tour de France. Le magazine haricotmobile du serveur télématique était quotidiennement consulté comme jamais ne la encore été aucun site Web. Tous les jours la messagerie explosait de commentaires, dinformations concernant la course. Les petits dune maternelle chantaient des chansons à leurs graines pour les encourager à pousser, dautres les emmenaient tous les soirs chez eux pour quils aient plus chaud la nuit, les plus grands avaient cherché des coureurs de marque, non pardon des variétés plus précoces. Jusquà une école de Brest qui croyait tenir les champions en ayant planté des haricots colombiens et qui voyait ses efforts anéantis pour arrosage trop intensif de ses étrangers non acclimatés !
Et au fur et à mesure que cette incroyable course se déroulait de nombreuses classes qui avaient loupé le départ étaient frustrées de ne pas participer à une telle partie de plaisir et devenaient des supporters prodiguant encouragements et conseils ! Des profs de lycée et de collège regrettaient de nêtre pas dans un coup pareil, parce que quelles possibilités dutilisation mathématique il y avait
Les nombreux hebdomadaires qui fleurissaient à cette époque dans le réseau consacraient tous une ou plusieurs pages à la course et bien sûr séchangeaient entre les uns et les autres.
Cest lavant-dernier jour de classe qui fut la ligne darrivée.
Impossible de décrire tout ce que cela avait permis dans lévolution des langages de chacun : mathématiques, (mesures, opérations complexes, tableaux, courbes, idée de lexponentiel .), écrits (de lécrit télématique à lécrit journalistique et même littéraire), scientifiques . Peut-être que dans la connaissance du haricot, mes objectifs nont pas été atteints. Mais au fait, joubliais, ce nétait plus mes objectifs et cela navait jamais été mon projet : cétaient les leurs. Et leur objectif, cétait quoi ? Samuser ! Samuser ensemble. BC