base dune remise en cause du système éducatif
ou suppression de ce qui oblige à penser différemment ?
Article paru dans "Libération" (rebonds) du 4.08.00
Les dernières classes uniques tombent peu à peu, apparemment comme un vestige du passé et au nom dune modernité qui date elle-même du XIX ème siècle. A Estrablin, dans lIsère, malgré la résistance désespérée des parents, cest avec 19 enfants quelle a été rayée de la carte scolaire. A La Puye dans la Vienne, pas de candidat à la succession de lenseignant qui avait pourtant fait de sa classe unique, dans une collaboration étonnante avec les parents, un joyau unanimement reconnu au delà même des limites du département. A Sommeval, dans lAube, après un bras de fer de plusieurs années entre le maire et lInspecteur dAcadémie, celui-ci vient de réussir à létouffer.
Ce nest plus au nom de la modernité que lon veut en finir avec les classes uniques mais bien parce quelles constituent le poil à gratter dun système qui pourtant démontre sa stérilité au fil des années. Deux arguments classiques sont mis en avant par leurs derniers défenseurs :
- Leurs " résultats " sont " aussi bons " que dans les écoles de type urbain. Argument démontré par les travaux successifs diligentés par le Ministère de lEducation lui-même (1)
- Leur maintien est nécessaire à la survie des villages. Argument démontré.... par les faits !
Les raisons qui justifieraient de les conserver précieusement, de les aider même à subsister, voire à sétendre et de prendre en considération ce quelles apportent vont bien au delà :
Les classes uniques sont des lieux déducation particuliers : leur hétérogénéité maximum (mélange de âges), leur taille, leur intégration dans le milieu dont sont issus les enfants (environnement physique et humain), la disposition despace dans la majorité des cas et enfin la disposition du temps.
Pour le premier argument, plutôt que léquivalence des résultats ce qui est intéressant cest que ces résultats semblent bien dus précisément aux paramètres qui habituellement sont considérés comme des obstacles. Pire, il se pourrait bien qu'ils soient même dus à des paramètres qui échapperaient à l'institution scolaire. En tout cas, le contexte des CU induisent et impliquent une approche complètement différente de lacte éducatif, dautres rapports entre les acteurs et partenaires de lécole, y compris les " partenaires " administratifs et hiérarchiques. Et cest bien là que le bât blesse. Cest bien parce quelles gênent, des enseignants à ladministration et a contrario de moins en moins les parents, quil faut les faire disparaître. Cela relève de laveuglement absurde.
Depuis des décennies, dans ces classes uniques, se développe avec succès, une autre approche de lécole ainsi que la transformation des pratiques de ceux qui y enseignent (4). Ceci dans la normalité la plus totale, sans quil y ait besoin de statut " décole expérimentale ", de formation spécifique, de mise à disposition de moyens quelconques, sans quil en ait même coûté le moindre sou à lÉtat puisque les travaux dAlain Mingat (2) ont démontré que le maintien de ces petites structures ne revenait pas plus cher aux collectivités que les concentrations engagées. Les mêmes travaux démontrent en outre que les concentrations naboutissent pas à une amélioration des résultats mais que cest plutôt le contraire ("Les résultats dans les classes à un cours sont moins bons que dans les classes à 2 cours, eux-mêmes moins bons que dans les classes à 3 cours". Et, pire encore, c'est dans les regroupement pédagogiques intercommunaux où, contre toute attente, les résultats sont les plus décevants). Si lon rajoute que les problèmes insolubles auxquels se heurtent lécole aujourdhui (violence, exclusion, échecs scolaires, implication des parents, éducation à la citoyenneté, pertes de repères, accès aux TNC etc...) ne se posent pas dans les petites structures hétérogènes, non pas parce que les enfants, les milieux socio-culturels, les situations économiques y sont meilleures (3) mais parce que lapproche pédagogique y est différente et dépend de ces paramètres que lon sobstine à occulter et éliminer ailleurs.
Les petites structures ET leur hétérogénéité ont été le berceau des pédagogies modernes, en particulier de la pédagogie Freinet. Moins parce que ces pédagogies seraient une réponse aux problèmes quelles posent, que parce quen changeant une grande partie des données habituelles de lécole tayloriste on y DECOUVRE une approche complètement différente de lacte éducatif. Elles démontrent que les données sur lesquelles reposent les systèmes éducatifs sont fausses comme lillustre courageusement une des conclusions du rapport Ferrier de 1993 (7 IGEN) : "Si les résultats se confirment, cela remettrait en cause la politique de lEducation nationale des dernières décennies".
La prise en compte des travaux de ses praticiens (4) (si elle était connue !) devrait aboutir à des modifications structurelles. Cest tout le système éducatif qui est à restructurer. La pédagogie (et ses difficultés) nétant très probablement quune conséquence des structures que lon veut faire fonctionner. Il est par exemple impensable dimaginer un lycée de 2 000, et même 1 000 et même 500 élèves fonctionner selon des pédagogies qui ont fait leur preuve dans quelques établissements sortis du contexte (lycées autogérés par exemple). Si toutes les réformes pédagogiques tentées par le Ministère et dont certaines ont été quasi... révolutionnaires (maths modernes, tiers-temps pédagogique, réforme des cycles, implantation des Technologies de la communication etc...) ont échoué globalement, il est pour le moins curieux quelles nont posé aucun problème dans toutes les classes uniques (quand elles-mêmes navaient pas anticipé sur ces réformes!). Cela aurait du interpeller tous ceux qui ont à charge de piloter lEducation Nationale : plutôt que de rejeter la pierre sur un corps enseignant immobile, peut-être auraient-ils du sinterroger sur les structures et les conceptions tayloristes du système éducatif qui secrètent une logique qui est celle du XIXème siècle et dont on ne peut sortir.
Mais a contrario, on peut aussi s'étonner que le corps enseignant dans sa totalité ne réclame pas le moins du monde une modification de ce type. Et se demander si ce n'est pas justement parce qu'il n'aurait plus de raison réelle pour refuser de reconsidérer ses croyances, ses approches, ses pratiques ?
Il est très curieux, alors que quelques-uns commencent à se douter de la validité de cette approche (ex Marie-Danielle Pierrelée), que linfime poignée qui tente de résister à léradication des dernières petites structures soit toujours complètement isolée et que son combat nintéresse personne : pas plus les personnalités phares que les grandes organisations. La volonté de marginaliser ces petites structures comme sympathiques certes, mais ne présentant pas un intérêt capital, conduit à sinterroger, soit sur les intérêts qui motivent les uns et les autres, soit sur labsence de vue globale de ceux qui sont pourtant reconnus comme à la pointe du changement.
Peut-être faudrait-il aussi replacer les petites structures scolaires hétérogènes, ce quelles ont " découvert " (depuis des décennies), ce quelles démontrent, dans la même problématique que la recomposition des structures économiques, sociales, territoriales, politiques : une pédagogie cest aussi et peut-être dabord un fonctionnement social. Lapport des petites structures scolaires, limportance de lhétérogénéité comme de la communication (interne et externe -réseaux-), du groupe (de sa construction, de son fonctionnement et de son efficacité), de limplication des acteurs dans leur devenir (citoyenneté et " démocratie " différente), de la mutualisation des savoirs, peuvent se décliner sur tous les terrains du lien social à léconomie solidaire, de lexclusion dans les quartiers aux politiques de pays. La classe unique a démontré dans de maints endroits, quelle peut être à lorigine dune nouvelle dynamisation des territoires ruraux. Quelques-unes ayant même acquis une notoriété certaine dans ce domaine (5).
Au regard de létonnante dépense dénergie dépensée en toute bonne foi par lÉtat pour modifier le fonctionnement dun cadre, il y aurait de quoi sinterroger sur la pertinence de ces efforts. On attend du cadre institué ce que sa logique ne peut donner (il ne peut par exemple se passer de programmes tels quils sont conçus, Philippe Meirieu et dautres avant lui comme Legrand en ont fait la cruelle expérience). On raisonne et on agit à lenvers. Les individus et les groupes ne sont plus à lorigine des systèmes soit disant faits pour eux mais doivent sadapter pour sy inscrire... et assurer la survie de ces systèmes, même si on singénie à les parer de vertus mythiques ou imaginaires comme la République !
Les classes uniques offrent de facto un autre cadre. Elles ne renversent pas seulement une approche pédagogique, elles renversent aussi la conception de la construction des personnes et des groupes. Elles obligent les enseignants à prendre en compte une problématique complète (lenfant et le groupe dans leur histoire, leur environnement, les parents, la municipalité ) et non pas la seule partie quun découpage leur aura attribué. Elles les obligent à assumer professionnellement les stratégies et les actions à mettre en uvre sans pouvoir se défausser sur des collègues. Elles les obligent à faire de lécole une uvre collective dont le succès implique a contrario un partage des responsabilités (avec les parents, la municipalité, le village) et elles offrent les conditions pour le faire. Elles obligent à penser différemment.... cest peut-être pour cela quelles rencontrent si peu dintérêt et quelles vont disparaître dans lindifférence (ou le soulagement) absolu. Seraient-elles trop dangereuses dans les transformations quelles pourraient induire, dans le bouleversement des positions que chacun sest trouvé et se reconnaît dans les cadres actuels (au plus bas, dans la place de lenseignant dans sa classe, dans son école, son village, dans celle des conseillers de tous poils qui auraient alors plus à apprendre quà conseiller ...!). Au lieu de demander au système de se transformer, elles constituent en elles-mêmes un autre système.
Alors que lÉtat sépuise dans des réformes qui naboutissent pas, alors que lon tente à grands frais de mettre en place des établissements " expérimentaux ", alors que tous les problèmes saccentuent, de la violence à lexclusion, de léchec scolaire au malaise des enseignants, les seuls lieux où une autre approche a fait ses preuves depuis des dizaines dannées sans quil en ait coûté le moindre centime au contribuable, les seuls endroits qui pourraient servir de points dappuis pour sortir de limpasse sont froidement et pour le moins stupidement éradiqués. Et ceci contre la demande même de parents, de maires, denseignants qui tentent désespérément de les conserver (6)!
Non seulement on pourrait attendre de lÉtat quil ne se prive surtout pas dun tel outil (débloquer une quinzaine de postes pour maintenir les dernières survivantes représente une ridicule gouttelette dans locéan du budget de lEducation Nationale), mais en plus quil regarde et commence à se servir de lexpérience quelles apportent. Quil les valorise et quelles ne soient plus considérées par les enseignants comme des endroits où ils ne pourront pas appliquer la pédagogie apprise à lIUFM mais des endroits où ils pourront apprendre la pédagogie. Quil comprenne enfin que ce sont les derniers phares non " expérimentaux " quil possède. " Je rêve dune classe unique ou dune école à 2 classes.... en ville " disent de plus en plus nombreux des enseignants perdus dans des écoles " cabanes à lapins ". Si tous ceux qui sont au chevet de lEducation se réveillaient enfin ?
Le 01.06.00
Bernard COLLOT
Directeur de recherches des " Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication "
(1)Travaux de Françoise Oeuvrard, Direction de la Prospective du Ministère de lEducation nationale.retour texte
(2) Alain Mingat, directeur de lInstitut en Economie Educative de Dijon - retour texte
(3) Voir tous les travaux sur la ruralité - retour texte
(4) Voir les travaux des Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication : http://www.marelle.org/ ou la collection "Une école de 3ème type" - retour texte
(5) Les classes uniques de La Puye, Moussac, Persac dans la Vienne : le partenariat et le réseau quelles ont constitué et qui perdure depuis... 25 ans est considéré comme une référence et une expérience unique dutilisation des TNC par... le Conseil Général lui-même. - retour texte
(6) Une poignée de villages dont lécole vient dêtre supprimée tentent encore des opérations de dernière chance.( Chuelles dans le Loiret, Montchamp et Ste Eulalie dans le Cantal, Domprel dans le Doubs, Sommeval dans lAube, Courances dans le 91, 2 écoles dans la Loire etc.) retour texte