Extrait
: Débuter
dans une classe multi-âge
« Débarquer »
en classe unique cause toujours un choc ! Brutalement tous les
repères
péniblement acquis au cours de ta formation disparaissent. « Que faire ? Comment m'en
sortir ? Où vais-je trouver "la
méthode" ? ».
« Et
puis assumer seul (e) le parcours de ces enfants dont j'ai la
charge ! »
C'est un vaste inconnu
qui s'ouvre devant toi. Mais c'est aussi un vaste champ
expérimental, un
immense espace de liberté, l'occasion de changer ta
pratique, d'en inventer de
nouvelles. L'occasion de faire (enfin) autre chose et surtout de
découvrir d'autres
choses, en particulier... les enfants. Et ce peut être
très facile !
Quelques principes
simples, quelques actions simples, quelques trucs ... simples.
Tu as le
temps !
Le premier principe
indispensable à intégrer (et peut-être
le plus difficile) c'est que tu as le
temps. Que les enfants ont le temps. Il faut donc oublier dans un
premier temps
les programmes, les échéances (lecture,
6ème...)... et cela peut très bien
durer trois mois sans aucun risque pour les objectifs
« scolaires » à
atteindre. N’oublie pas que le terme de ces objectifs, qui
n’est, actuellement
que « suivre au
collège », est dans cinq ou six ans pour
tous tes
petits qui souvent constituent ton plus gros souci avec
l’apprentissage de
l’écrit !
Rien de positif ne peut
se faire tant qu'une organisation ne s'est pas mise en place, des
habitudes
prises, des rituels établis, une tranquillité
instaurée. Inutile de s'affoler
au bout de deux mois ou plus si Jean n'a pas encore
démarré en lecture alors « qu'à
son âge… », si Pierre
qui va entrer en 6ème ne maîtrise pas encore les
multiplications etc. Les
paramètres dont dépendent les apprentissages sont
si infinis et si complexes
qu'ils continuent à agir à ton insu,
même si une évaluation de type scolaire ne
met pas forcément en évidence les performances
qui concluent tout apprentissage
dans notre système éducatif. Tu seras alors
surpris(e), au bout de quelques
mois, de voir la rapidité de ce qu'on appelle encore leurs
"progrès".
En général, on part
toujours à l'envers : D'emblée on a à
l'esprit les programmes, les compétences
à faire acquérir, des dates buttoirs. On se fait
un échéancier (quel vilain mot
qui rappelle surtout… le carnet de chèques et les
dettes !). Et dès le
premier jour on agit en fonction de cela... et tout le monde court
après le
temps ! Alors que rien n'est mis en place... pour que ce temps existe !
Remets
donc les choses à leur place : Occupe d'abord ton temps
à mettre en place les
conditions nécessaires et indispensables pour qu'au bout
d'un... certain temps,
ce temps n'ait plus d'importance. Ce que tu
« dois » faire
acquérir
s'acquerra en dehors d'un temps prévu, te
libérant et libérant les enfants
d'une pression qui va à l'encontre de ce que tu cherches.
Facile à dire,
difficile à vivre les premiers mois.
Partir
d’un… point de départ !
Le deuxième principe est
qu'il faudra toujours partir d'une situation existante. Ce n'est pas
par un
coup de baguette magique que tu vas libérer les enfants et
te libérer toi-même
des représentations qui pèsent sur les
comportements de tous ceux qui vivent
l'école.
Les enfants attendront
que tu leur indiques ce qu'ils doivent faire, les parents que tu
apprennes à
leurs enfants la même chose et dans le même ordre
que ce qui se fait ailleurs,
et toi tu n'auras comme références que... tes
propres souvenirs.
Tout renverser d'entrée,
c'est l'angoisse assurée pour tout le monde. C'est donc
à partir de cela, d'une
façon générale, que tu
démarreras. Et tu feras probablement des choses que tu
trouveras ensuite aberrantes (cahiers, exercices... voire
même « devoirs »,
rangées bien alignées, etc.). Mais cela n'a pas
d'importance, y compris leur
inutilité. Tu t'engages dans une transformation profonde de
ce que l'on
pourrait appeler un paradigme pédagogique. Autrement dit, tu
vas quitter des
références connues et prises comme immuables pour
t'engager vers un autre monde
que, ni toi, ni les parents, ni les enfants ne perçoivent
encore. L'abandon du
premier ne se fera donc que peu à peu... et
simultanément par tous les membres
de la communauté école.
Quoi faire alors ?
Une maison... et un
garage
S'occuper d'abord de
l'aménagement du lieu. J'y ai personnellement
passé beaucoup de mon temps. Ce
que l'on prend comme secondaire est en réalité
essentiel. Faire que l'endroit
où un certain nombre de personnes vont vivre ensemble
pendant bien plus qu’un an
soit un endroit... à vivre. Un rideau, des fleurs, un tapis,
un fauteuil, un
chat, la cafetière électrique, le coin des jus
d'orange, une lampe de chevet,
une chaîne hi-fi, la guitare du maître... Mets dans
ta classe le maximum de
choses qui ne soient pas... scolaires. Ce que l'on met chez soi pour y
être
bien. Même si les tables sont encore en rang, l'heure de la
récréation fixe...
tout aura déjà changé ou pourra
changer. Le bouquet de fleur aura un rôle
beaucoup plus important dans les transformations de la
pédagogie que toutes les
théories préalables. C'est dans une maison que
les enfants et toi devez vivre.
Faite de couleurs, d'inutile, d'agréable.
Tu ne vas pas pouvoir
aussi t'empêcher de penser au scolaire, disons
plutôt à l'éducatif. Alors
d'emblée pense que ce qui va servir à des
objectifs très professionnels soit le
plus possible visible et accessible : Les enfants auront besoin
à tout moment
du mètre, d'une balance, d'un microscope, du globe, d'une
carte, d'une machine
à calculer, etc. Il ne faut pas avoir à tout
déranger pour aller se servir d'un
outil. D'autre part, le simple fait qu'il soit accessible en permanence
induit
son utilisation. Tu ne peux imaginer par exemple à quel
point les enfants (et
toi) vont faire de la « science »
du simple fait qu'un microscope
soit posé en permanence et prêt à
l'emploi sur une table ! Si, dès le départ,
il y a un ou deux aménagements qui prévoient le
déplacement des enfants vers
des outils, la première occasion va être
immédiatement saisie... et ils (les
outils) vont même suggérer des occasions.
Après avoir « pensé
maison »,
pense « garage » ou
« atelier » !
Chaque fois que j'ai fait
cette préparation, c'est en la faisant que me venaient des
idées...
pédagogiques !
Des actions, des outils
structurants.
Tu démarres donc
traditionnellement dans un lieu un tout petit peu différent
du parallélépipède
scolaire habituel. Tu as même un emploi du temps
compliqué et savant. Tu sais
que tu vas avoir, et les enfants aussi, le plus grand mal à
le suivre et à ce
qu'il soit efficace. Tant pis. Mais, dans cette organisation du temps,
prévois
un ou deux moments clefs : (...)
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